UNE PERIODE ENTRE PARENTHESES ?

Faisons le point. Etablissements scolaires fermés depuis le 16 mars au moins jusqu’au 4 mai. Confinés depuis le 17 mars les Français le resteront jusqu’au 15 avril, voire au-delà. Dans nos champs professionnels, cette période est-elle une parenthèse ou bien marquera-t-elle une rupture ?

La continuité pédagogique jusqu’où ?

Dans bien des foyers, le matériel informatique manque, la connexion à Internet est insuffisante, les parents sont désemparés. Et certains élèves doivent s’occuper de leurs frères et sœurs quand les parents continuent de travailler à l’extérieur. Nous ne devons pas oublier ces familles dont les deux parents sont « sur le front ». Une adhérente nous cite un exemple : « elle est caissière, il est vigile, tout deux continuent de travailler. La maman m’explique ses difficultés  à continuer d’accompagner ses enfants dans le travail «en ligne», les aider à « faire leurs devoirs » comme elle dit après une journée de fatigue et d’angoisse à travailler. »

Autre réalité décrite par une adhérente : la faible autonomie des élèves dans le numérique. Cette adhérente nous a écrit en plaisantant que « se donner les trois mois qui viennent pour que nos élèves se connectant parviennent à trouver le travail et les fichiers dans le cahier de textes de l’ENT et pour qu’ils parviennent ensuite à ouvrir un fichier word, un fichier PDF ou un ficher libre office est un objectif déjà ambitieux. On peut même s’autoriser un deuxième objectif pour les élèves les plus appliqués/les mieux équipés : qu’ils parviennent à nous envoyer un fichier qui soit autre chose qu’une photo faite sur le smartphone d’un exercice de rédaction qu’ils tiennent absolument à nous faire vérifier malgré le corrigé mis en ligne. »

Si le numérique ludique et récréatif envahit la vie de nos élèves, cette période confirme malheureusement la pauvreté des usages du numérique en tant qu’outil maîtrisé. Cette  situation paradoxale devra conduire notre institution à revoir nos missions et nos programmes. Il faudra rompre avec un rapport magique au numérique, avec cette naïveté de penser que le monde merveilleux d’Internet met la connaissance à la portée de tous et rend inutile les médiations. Passé le confinement, on aimerait aussi qu’il y ait rupture dans la consommation d’écrans. Le Sgen-CFDT le répète : petit ou grand, un enfant apprend en manipulant, en jouant avec les autres, en se frottant au monde réel. Le langage se construit grâce aux interactions sociales, et sans langage pas d’accès aux apprentissages.

Ni contamination, ni burn-out !

 

Enfin, et nous lancions déjà l’alerte dimanche dernier, la surchauffe menace.  Au bout de deux semaines, plusieurs enseignant.e.s nous disent leur épuisement après deux semaines de travail à distance tout en gérant la classe à la maison pour leurs propres enfants. Nous conseillons à ces collègues :

  1. de ranger très soigneusement les fiches Eduscol au fond d’un tiroir ;
  2. de revenir sur Terre en consultant les consignes envoyées par la ministre belge (wallone pour être exact) de l’Education ;
  3. si nécessaire, de solliciter auprès de leur inspecteur ou chef d’établissement une autorisation spéciale d’absence pour garde d’enfants : la foire aux questions disponible sur le site du ministère en mentionne clairement le droit à la page 13.

La porte-parole du gouvernement a été bien  mal inspirée mercredi dernier en évoquant «un enseignant qui aujourd’hui ne travaille pas compte tenu de la fermeture des écoles » : encore une fois les professeurs se sont sentis incompris et méprisés.

Au même moment de nombreux collègues s’investissaient dans des projets pédagogiques ambitieux. Ils utilisent leur matériel personnel et leurs compétences (acquises souvent seul.es). Nous saluons évidemment leur engagement mais nous sommes vigilants sur les transformations de notre métier que peut induire la période. Le SGEN-CFDT y veille. Une délégation de notre fédération a interpellé le ministre sur ces questions mardi 24 mars.

Enfin nous croyons nécessaire de souligner également une autre réalité moins reluisante : au bout de deux semaines, les familles les plus éloignées de l’Ecole n’ont pas toujours pu être contactées ! Et pourtant établir ce lien avec toutes les familles est la première étape indispensable à une continuité de l’Ecole républicaine.

La relation aux familles

La relation aux familles est primordiale dans la réussite des élèves. Nous le savions bien avant l’épidémie mais avec le confinement cette mission prend un relief particulier. Il ne s’agit pas de s’imposer ou de nous voir imposer des obligations de contacts quotidiens avec les élèves ou bien des missions de contrôle social mais de nouer des liens d’entraide et de solidarité avec les familles. Sans doute c’est plus simple dans le premier degré quand il s’agit d’être en contact avec 25 familles que dans le second degré où les élèves se comptent en centaines pour les professeurs d’arts plastiques, d’éducation musicale ou de sciences.

Le confinement et l’enseignement à distance mettent en évidence l’importance relationnelle de notre métier.  Les parents, les élèves, sont parfois en attente de conseils mais surtout de retours bienveillants, de liens. Il est intéressant de constater que beaucoup nous sollicitent. Notre rôle, pendant cette période, consiste aussi à prendre des nouvelles, donner des conseils, rassurer, dédramatiser face aux enjeux… A l’issue de cette période, les familles seront-elles plus conscientes des difficultés du métier d’enseignant et plus impliquées dans leurs relations avec les professeurs de leurs enfants ? Un lien parents-professeurs empreint d’une plus grande estime, de confiance et de sérénité : ce serait alors une rupture bienvenue avec tant d’expériences de défiance ou d’indifférence.

Entrer en relation avec les familles, c’est reconnaître  à quel point le confinement accentue les inégalités  face aux savoirs et aux apprentissages. Les enseignants doivent en tenir compte dans leurs pratiques mais ils ne doivent pas se sentir responsables de toutes les injustices sociales. Préalable à la continuité pédagogique, l’accès au numérique pour tous relève d’une politique nationale de long terme. A défaut, dans la situation d’urgence actuelle, le SGEN-CFDT revendique que le ministère mette en place des envois postaux gratuits pour les familles sans connexion.

La santé des personnels

S’il est un domaine où on aimerait que la période marque une rupture, c’est bien la prise en considération de la santé des personnels. Jusqu’au Covid notre administration a négligé la santé de son personnel : qui, parmi le personnel de l’académie, a passé une visite médicale du travail ? Combien de personnels chaque médecin de prévention est-il censé assurer le suivi ? Quel est le budget de prévention pour chaque personnel de l’académie ? Trop souvent l’agent est orienté vers le service de santé quand sa situation est très dégradée.

Peut-on espérer que le Covid marque une rupture salutaire dans la prise en compte de la santé des personnels ? Concernant l’accueil des enfants de soignants, l’absence de réponse du recteur à notre courrier ne nous rassure pas. Les règles de protection sont-elles garanties à tous les volontaires dans les points d’accueil des enfants des soignants ?

Sur cette question, une fois l’épidémie franchie, nous n’espérons pas seulement un retour à la normale, nous voulons une Ecole déterminée à lutter contre ses maux endémiques.