Mixité scolaire : entretien avec Youssef Souidi, chercheur au CNRS

Chercheur au CNRS de Paris, Youssef Souidi a particulièrement travaillé sur la question de la mixité dans les collèges parisiens. Echanges avec Laurent Kaufmann, Laurent Gomez et Dominique Bruneau du Sgen-CFDT

Youssef Souidi est chercheur au CNRS à l’Université Paris Dauphine après avoir été doctorant à l’Ecole d’économie de Paris.
Il a rédigé et soutenu une thèse sur la question sur « les politiques d’affectation et la mixité sociale au Collège » plutôt dans le cadre de ce qui se passe en France. Pour cela il a travaillé sur les questions de ségrégations à l’intérieur d’un établissement entre les différentes classes, de sectorisation.
Il a exploré certaines expérimentations qui ont pu se dérouler pour améliorer cette mixité sociale.

Pourquoi la mixité sociale favorise la réussite des élèves ? La mixité dnas les établissements scolaires ets une ambition qui doit devenir une réalité.

La mixité sociale, ce n’est pas seulement la réussite des élèves ou alors il faut le prendre au sens très large. C’est en effet à la fois une question scolaire en termes d’orientation par la suite ou de trajectoire professionnelle in fine mais c’est aussi une question de cohésion sociale.
Pour commencer sur le point scolaire, les études montrent que concentrer les difficultés scolaire et sociale dans un seul établissement ou une même classe, les deux étant fortement corrélées, ce n’est positif pour personne.
Si l’on a cela dans une même classe, on va y concentrer les difficultés scolaires avec des interruptions de cours et engendre un manque d’émulation.
Au niveau d’un établissement, ce manque de mixité va accaparer les équipes éducatives avec des questions qui ne se poseraient pas dans des établissements plus favorisés socialement.
Ainsi la crise sanitaire que l’on vient de subir qui a provoqué la fermeture des établissements, les établissements qui concentraient les difficultés scolaires ont eu une charge beaucoup plus importante pour raccrocher les élèves que dans ceux qui ont une population plus favorisée socialement.
C’est aussi une question de cohésion sociale car la mixité permet une rencontre entre des personnes d’origine différente, avec une culture différente.
On a des élèves qui vont tout au long de leur cursus scolaire évoluer au sein d’un même milieu social, ne pas rencontrer d’autres personnes. Cette question de cohésion sociale revient régulièrement dans le débat public. Ce qui est clair sur la réussite scolaire, c’est que concentrer des personnes qui ont le même profil social réduit l’étendue des possibles ; les élèves auront peu de connaissances d’autres professions, d’autres milieux sociaux, ce qui les enferme. Attention, ce n’est pas mal d’être ouvrier ou artisan mais les élèves doivent pouvoir avoir connaissance des différents métiers qui s’adressent à eux.

Pour ces élèves de milieux défavorisés, l’étendue des possibles est très réduite en terme de métier ou de filières d’étude. Cela, dans une perspective d’égalité des chances, ce n’est pas souhaitable.

Existe-t-il un consensus de la recherche sur le fait que la mixité sociale profite finalement au milieu les plus défavorisés ?

Sur la question de la réussite scolaire, il y a des débats. Le consensus sur l’effet de la mixité sur la réussite scolaire n’est pas très fort car les contextes étudiés sont très différents.
Ce n’est pas la même chose de passer de 100 % d’élèves défavorisés à 90 %. Peu d’attention a été porté à ce critère, dès lors, les résultats vont dans le sens d’un effet positif de la mixité sur les résultats des élèves de milieu défavorisé tout en ayant peu d’impact sur les élèves de milieu favorisé.
L’intensité de l’impact sur la réussite à court terme peut être discuté dans la littérature. Certains vont dire que cela joue, d’autres non. Pour d’autres, cela intervient, non pas parce qu’il y a des élèves défavorisés mais parce que les établissements les plus défavorisés ont du mal à attirer des enseignants, à les garder dans le temps.
On a donc dans ces établissements défavorisés des enseignant.e.s moins expérimentés, des néo-titulaires, des contractuels d’où l’idée de casser cela avec plus de mixité pour gagner en compétences au niveau des équipes pédagogiques tout en les fidélisant, cela à court terme.
A moyen et long terme, on voit des effets plus consensuels autour de l’orientation ou sur les trajectoires professionnelles.
Sur la réussite à court terme avec comme indicateur par exemple la réussite au Brevet des Collèges, le consensus est divergent dans la recherche.
La question est de connaître l’importance de cette mixité, l’intensité de son effet. Cependant, peu d’études montrent que cela a un effet négatif sur les élèves défavorisés. Pour les élèves favorisés, cela n’a pas d’effet du tout voire des effets positifs. En réalité, pour un élève favorisé, ou disons bon scolairement, dans un établissement plus mixte, cela lui permet d’avoir plus confiance en lui. Même dans un lycée très favorisé, ils peuvent être tous très bons ; il y a cependant quand même un premier et un dernier. C’est très sensible donc on se doit de prendre sur ce sujet des précautions.

Et pour les personnels ?

Il y a un enjeu d’accompagnement de cette politique de mixité. Introduire une plus grande diversité sociale au niveau des publics scolaires ne suffit pas, notamment parce que les enseignants en France se disent assez peu formés à la gestion de l’hétérogénéité.

La carte scolaire est quelque chose de très central dans notre système éducatif, une carte qui est dessinée un peu à la hache et peu révisée, pensez vous l’IPS pourrait être un élément intéressant pour la dessiner à l’avenir notamment pour induire la mixité ?

Oui probablement, d’autant plus que l’on peut repérer des frontières discriminantes. On a des secteurs juxtaposés mais dont la composition sociale est très différente. SI tout le monde respectait la carte scolaire, on aurait de toute façon des collèges très différents en fonction de la façon dont elle est tracée.
C’est fait à la hache quelquefois mais cela peut aussi être fait très finement pour permettre de séparer des quartiers dans des collèges différents. La difficulté est que la carte scolaire est une prérogative pour les conseils départementaux et les départements mettent les moyens qu’ils veulent sur cette question du tracé. Cela nécessiterait des démographes capables aussi de faire des prévisions.
Si on est dans un département avec une démographie stable, on ne va pas mettre beaucoup de ressources sur cette question de la carte scolaire. On a des départements qui depuis 15 ans n’ont pas connu de modification de leur carte. Selon une étude Politis sortie il y a une dizaine d’année, l’objectif de cette carte est que chaque élève ait une place dans un collège proche de son domicile. L’objectif social est secondaire. Lorsque des modifications sont envisagées, cela se confronte à des réactions très fortes des parents d’élèves, à des pressions politiques. L’IPS donnant des données plus précises, cela doit permettre de tracer des cartes scolaires plus mixtes. Reste à ce que les conseils départementaux s’en emparent.

Parlons de l’expérience parisienne, qu’est-ce qui fait que cela fonctionne ? Mixité à Paris : des collèges ont osé expérimenter et cela fonctionne.

A Paris, l’expérience emblématique s’est déroulée dans le 18ème arrondissement. On avait deux collèges : le collège Berlioz et le Collège Coysevox, à quelques minutes l’un de l’autre mais à la composition sociale radicalement opposée.
Il a été décidé de fusionner les secteurs de ces deux collèges. Les élèves qui entraient en sixième entraient dans un collège les années paires et dans l’autre les années impaires et y faisaient l’ensemble de leur scolarité.
Cela a généré un secteur de recrutement plus mixte. Les parents favorisés qui auraient dû aller dans le collège avec la population plus défavorisée sont ainsi revenus vers le public. Ils auraient mis leur enfant dans le privé mais du fait du secteur plus mixte, leur collège étant plus mixte de fait, il font le choix du public. On embarque ainsi une cohorte complète d’élèves donc les fuites vers le privé sont plus difficiles. Si on fait une resectorisation pour 10 élèves, la fuite vers le privé est plus facile, pour 200, c’est plus compliqué car leurs murs ne sont pas extensibles. D’autre part, les parents d’élèves savent que leur enfant sera avec des camarades de classe de primaire ce qui les rassure. Des moyens ont été également mis par exemple en limitant le nombre d’élèves à 25.
Sur le plan de la mixité, cela fonctionne, reste certains problèmes logistiques qui perdurent.

De quels ordres ces problèmes logistiques ?

Par exemple les années paires, un collège n’aura que des 6ème  et des 4ème et les années impaires des 5ème et  3ème. Dans les comités de suivi, on a par exemple la problématique des manuels qui au départ étaient prévus pour 100 élèves mais là on en a 200 dans une même cohorte. Comme les deux établissements ont gardé leur entité propre, il faut faire des conventions de prêts entre les deux collèges. Pour les professeurs, cela peut aussi être embêtant car ils/elles ne peuvent enseigner que sur deux niveaux au lieu de quatre dans un collège « normal ». Autre souci, un collège est toujours REP car la carte scolaire n’a pas été modifiée et un autre qui ne l’est pas donc des enseignant.e.s qui ont la prime REP et les autres non.

Quels investissements des personnels et particulièrement des chefs d’établissement sur cette expérimentation ?

Si les deux chefs sont embarqués, c’est plutôt le chef d’établissement du collège le plus défavorisé historiquement, qui est très engagé et s’est beaucoup investi dans l’expérimentation. Au démarrage le chef d’établissement du collège favorisé, qui n’est plus là aujourd’hui, était très opposé tout comme les parents d’élèves qui étaient très inquiets.

Comment inciter aussi les écoles publiques du secteur à plutôt passer le message d’envoyer leur enfants vers ce double établissement et donc vers la mixité ?

De mémoire, cela ne s’est pas bien passé car l’évitement était concentré sur certaines écoles primaires.
De la même manière, sur une autre expérience, c’était un algorithme qui affectait les élèves sur un établissement et pour le renseigner, on avait besoin du quotient familial des parents collecté par les directeurs et directrices des écoles élémentaires, eh bien sur certaines écoles, personne ne donnait son quotient familial.
On voit donc qu’il y a un fort pouvoir prescripteur des enseignants, des directeurs et directrices d’écoles élémentaires avec des comportements très polarisés sur certaines écoles. De mon côté, j’ai plutôt une vision quantitative et moins qualitative car je n’étais pas là à la mise en place.

Pensez vous que le travail effectué sur ces collèges est généralisable ?

Avec le sociologue Hugo Botton, nous avons montré que lorsqu’on trouve des configurations de collèges géographiquement proches mais très différents socialement, il s’agit en général d’un collège public et un collège privé.
On peut retrouver le schéma de deux collèges publics sur quelques grandes villes car c’est là où la densité de l’offre scolaire est importante.

Pour traiter la question de la ségrégation sociale de façon ambitieuse, on ne peut se passer d’une réflexion sur le privé et ses modalités d’admission et son financement.

Le fait de mettre des classes Cham, internationale dans les établissements où le public est défavorisé, rend-il ces établissements plus attrayants ?

Les établissements de REP et REP+ situés dans des quartiers défavorisés, très enclavés ne peuvent avoir de mixité. Ces établissements ont un vivier de recrutement très défavorisé donc il ne peut y avoir de stratégie d’évitement.
Mettre une classe internationale dans un collège au milieu de tours d’immeubles et émettre l’hypothèse que des familles favorisés vont demander une dérogation pour mettre leur enfant dans cette classe, c’est plutôt hypothétique. Les Collèges REP / REP + parisiens mais on peut imaginer cette configuration ailleurs, bien que situés sur des secteurs de recrutement mixtes, sont fortement évités par les catégories sociales favorisées. Ils ont donc le classement REP ou REP+ du fait de cet évitement.
Pour ces derniers, oui, mettre une section internationale ou CHAM peut être un facteur d’attraction. Cela dit, il y a au sein de l’établissement un enjeu de ségrégation entre les différentes classes si on rassemble tous ces élèves dans une même classe. Statistiquement, la mixité est là mais dans les faits, elle n’opère pas. On peut imaginer une stratégie en plusieurs temps en faisant cela : dans un premier temps améliorer l’image de l’établissement pour attirer ensuite d’autres élèves indépendamment de ces sections voire en répartissant ces élèves sur plusieurs classes. Il faut savoir dans ce cas résister aux pressions pour éviter de placer les élèves dans la même classe notamment des parents.

La mixité sociale commence aussi par la politique menée par la ville pour mixer ses quartiers, comment les communes sont associés sur cette politique ?

L’administration est tributaire du pouvoir politique. Il faut de la volonté politique de créer de la mixité sociale sur l’espace public, mixité qui rejaillira sur les établissements scolaires. Cette volonté n’est pas toujours là. Avant 2017, on avait cette impulsion de par les déclarations de la Ministre de l’époque. Dès lors, les rectorats suivaient. On avait un alignement des planètes qui ont permis ces expérimentations. Depuis 2017, cette impulsion n’existe plus. En 2019, la Ville de Paris a essayé d’avoir un ou deux territoires d’expérimentations supplémentaires pour des collèges, cela s’est soldé par un échec car la configuration politique ne le permettait plus. Cette vision de la mixité, c’est bien une question aussi de la vision que l’on veut de notre société. Ainsi, ils s’est sans doute jouer quelque chose de cela dans les émeutes du printemps dernier.

Connaissez-vous d’autres expérimentations en France ?

Le cas le plus emblématique est Toulouse mais j’ai connaissance d’autres expérimentations sur Nîmes, Rennes, Nantes et sa banlieue et Le Mans. Des rencontres nationales ont eu lieu à Toulouse et des actes ont été publiés très intéressants pour regarder plus avant ce qu’il s’y passe.