École inclusive : dans quelles conditions ?

L'école n'a jamais autant accueilli d'élèves en situation de handicap. Comme pour les enfants de personnes en situation de grande pauvreté, souvent trop éloignés de la norme scolaire, en France, nous avons démocratisé l'accès à l'école, mais nous n'avons toujours pas démocratisé l'enseignement.

L’école inclusive, nous l’aurons réussie quand nous ne parlerons plus que de l’école tout court. Si nous avons besoin de lui accoler ce qualificatif d’inclusive, c’est bien parce qu’elle ne l’est pas encore.

Le Sgen-CFDT estime que tout enfant devrait avoir une place dans l’école de la République

Principe de départinclusion

L’école inclusive est bénéfique pour les élèves. Ce n’est pas une impression. Des chercheurs ont montré, entre autres, que la présence de la diversité des profils permet une éducation à la sensibilité et l’altérité. De plus, elle rend tangible le principe d’éducabilité. Si vous accompagnez un élève handicapé en situation de réussite, vous allez plus facilement imaginer que ce soit possible pour d’autres élèves dans votre classe. Les réussites sont nombreuses. Un beau chemin a été parcouru. Il suffit de regarder 20 ans en arrière (nombre d’ULIS ouvertes, nombre d’AESH, nombre d’enfants accueillis en milieu ordinaire…).

Une fois rappelé ce principe qui nous guide, nous ne pouvons qu’être très insatisfaits de la situation actuelle dans les classes. En l’état actuel du fonctionnement de l’école, de nombreux collègues finissent par se demander si tous les élèves y ont leur place. Nous voyons donc tout le chemin qui reste à accomplir. Et nous faisons l’analyse que le principal obstacle reste la forme scolaire actuelle.

Situation actuelle

En effet, aujourd’hui, lorsqu’un enfant semble trop éloigné de la norme scolaire, ce qu’on lui propose est essentiellement de l’ordre de la compensation. C’est-à-dire qu’on lui fournit un certain nombre d’outils, d’aides humaines et matérielles qui lui permettent de s’adapter à son environnement. Un effort extraordinaire a été fait dans ce sens depuis 15-20 ans avec le recrutement massif d’AESH et l’ouverture de nombreuses ULIS mais cela reste encore insuffisant.

Compensation et accessibilité

Or, pour avancer sur le chemin de l’école inclusive, il nous faut deux jambes. Celle de la compensation ET celle de l’accessibilité. L’accessibilité est travaillée lorsque ce n’est plus l’élève qui s’adapte à l’école et tous ses fonctionnements, mais que c’est l’environnement qui est repensé pour le rendre plus accessible. Notre analyse, c’est que si on a bien musclé la jambe de la compensation, c’est celle de l’accessibilité qui est aujourd’hui atrophiée.

Difficultés dans les écoles

La principale difficulté de nos collègues vient de cette injonction paradoxale de l’Institution : vous devez à la fois respecter et produire de plus en plus de normes (programmes, évaluations, méthodes, horaires,…) et accueillir des profils de plus en plus différents.

On entend beaucoup dans les témoignages de collègues démuni·es : “ce qu’il lui faudrait, ce sont des soins” mais qu’on ne s’y trompe pas : les enfants qui vont à l’IME ou en ITEP tous les jours ne reçoivent que très peu de soins, dans le sens “soins médicaux”. Ce qui fait que certains enfants s’y sentent mieux qu’à l’école, c’est que les lieux sont rendus accessibles aux jeunes. Des groupes plus petits, des emplois du temps modulaires, moins de bruit, des possibilités de s’isoler à tout moment de la journée… Mais qu’est-ce qui empêche que les écoles proposent des lieux et des organisations plus souples ? Il n’y a pas que les enfants en situation de handicap qui pourraient alors en profiter.

Une autre école possible

Essayons d’imaginer une école qui ne propose pas la même chose, les mêmes programmes, les mêmes horaires à tous les enfants. Quasiment tous les pays d’Europe sont passés à une logique du curriculum qui part de là où en est l’élève tout en fournissant un cadre de référence, un socle. Ils ont pu ainsi sortir progressivement d’une culture des programmes qui part d’abord de ce que tout élève devrait savoir à tel ou tel âge. Imaginons également une école vue comme un espace hors menace, selon l’expression de Jacques Lévine, où l’on peut venir en toute sécurité physique et affective, dans lequel on peut dire qu’on n’y arrive pas, dans lequel on peut venir essayer, se tromper, recommencer.

Donc avec moins de pression évaluative dès le plus jeune âge. Une école dans laquelle cognition et émotions sont prises en compte comme indissociables (aujourd’hui des collègues AESH nous rapportent qu’en formation, elles ont pour recommandation de ne pas mettre d’affects dans la relation, pour “ne pas s’attacher”).

Rapprocher l’école et le médico-social

L’école inclusive pourrait ainsi devenir le récit d’une école plus ouverte à la mixité, aux différences qui sont sources de richesses quand on a eu la chance d’en bénéficier. Les premiers pas vers une telle école ont commencé, ce sont toutes les initiatives comme les Dispositifs d’auto-régulation (les DAR), les unités externalisées, les UEMA, Unités pour enfants autistes en maternelle, tous ces dispositifs qui visent un rapprochement entre l’éducation nationale et le médico-social.

La culture de la compensation, c’est celle de l’école. La culture de l’accessibilité, c’est celle du médico-social. Le Sgen-CFDT souhaite donc encourager ces rapprochements, dès lors qu’ils respectent et rapprochent les deux cultures plutôt que de les opposer.

Il nous faut toutefois être pragmatiques jusqu’au bout et reconnaître que la mise en place concrète de tels lieux dans un maximum d’endroits va prendre du temps.

Tant que ces rapprochements ne seront pas faits, nous continuerons à subir le fonctionnement déséquilibré que nous venons de décrire. Prendre conscience de son aspect systémique peut être une première étape pour cesser de chercher des coupables.

Plusieurs axes de travail

En attendant, nous proposons donc plusieurs axes de travail qui permettent d’avancer vers plus d’inclusion et qui seront aussi nécessaires dans une école plus accessible :

Premier axe : analyse de pratique

Premier axe : encourager la mise en place de temps d’analyse de pratique. En effet, l’accueil de certains élèves bouscule fortement des équipes et des personnes. De nombreux “métiers de l’humain”, comme on les appelle, ont inclus dans leur temps de travail ces moments permettant de mettre des mots sur des émotions qui nous traversent et d’explorer à froid les nombreux paramètres qui nous ont amenés à telle ou telle situation. Pas besoin d’attendre que le président de la République ou un de ses conseillers ait une illumination et qu’une note descende pour mettre partout en place l’analyse de pratique. On peut déjà s’appuyer sur des dispositifs existants, comme les PIAL, pour en proposer aux personnels.

Deuxième axe : une pyramide trop descendante

Puisqu’on en parle, voici un deuxième axe : la mise en place à tous les échelons d’une pyramide trop descendante, d’un management par la confiance, qui relève du même paradigme que celui de l’école inclusive. En effet, on peut se sentir inclus dans un lieu parce qu’on y a une place qui a du sens et qui permet d’exercer un pouvoir d’agir. Pour y parvenir, il faut donc que le pouvoir soit partagé. Ceci va de pair avec la mise en pratique, tout au long de la chaîne hiérarchique, de la même bienveillance que celle qui nous est légitimement demandée vis-à-vis des élèves. Écoute, proximité et souplesse dans les réponses auront des effets probablement plus bénéfiques qu’ordres, circulaires et principes intangibles.

Troisième axe : les moyens

N’éludons pas la question des moyens, et c’est le troisième axe. Les moyens consacrés à l’école inclusive ne seront jamais suffisants. Parce que même si vous mettez une AESH aux côtés de chaque élève, il restera, par exemple, le geste pédagogique à penser et la réflexion didactique à mener. Ceci dit, ces moyens ne sont certes pas suffisants, mais nécessaires !

Deux exemples :

  1. Les seuils d’ouverture et de fermeture de classe pourraient évoluer en fonction du nombre d’enfants accueillis sans aide humaine supplémentaire. Le Sgen-CFDT ne fait pas du taux d’encadrement l’alpha et l’oméga d’une politique inclusive. Mais toute personne ayant enseigné sait qu’il est plus facile d’accorder une attention particulière à chacun, chacune dans une classe de 20 plutôt que dans une classe de 28.
  2. Un regard élargi sur l’externalisation de la difficulté scolaire permettrait de se rendre compte que des millions d’euros passent dans la dépense de taxis pour la rendre effective. Quand un ITEP dépense 6 000 euros par enfant et par an uniquement pour le taxi, soit le coût d’une scolarité ordinaire, il pourrait être intéressant de se poser des questions.

Quatrième axe : former la communauté éducative

Enfin, comme sur le sujet de la mixité sociale, de nombreuses études ont montré qu’il ne suffit pas de mettre les enfants ensemble dans une classe pour que l’hétérogénéité soit bénéfique à toutes et tous par capillarité ou par magie. Nous pensons donc nécessaire de former la communauté éducative. Apprendre des pratiques pédagogiques telles que la personnalisation des apprentissages, les classes coopératives ou encore les classes-puzzles. Dispositifs qui permettent de concilier deux exigences : celle de l’émancipation individuelle et celle de l’acculturation à des normes collectives, celle de la construction de l’individu et celle de la cohésion d’une société. De la même manière, toutes les initiatives, projets, démarches visant à exercer les compétences psychosociales des élèves et des adultes vont dans le bon sens.

Conclusion

Toutes ces mesures, et bien d’autres que nous n’avons pas le temps de citer ici, pourraient nous aider à changer de paradigme. Passer du paradigme de l’élève vu comme un vase à remplir à celui de l’élève vu comme un sujet en devenir qu’il s’agit d’accompagner. Paradigme qui nous permettrait de mieux accueillir nos vulnérabilités. Toutes les vulnérabilités, pas seulement celle des élèves dits à besoins particuliers.