Fin de la blague (sexiste) ?

« Mais comment donc faire pour lutter contre les Violences Sexistes et Sexuelles au Travail? (VSST) » me demandaient hier des camarades. Un sujet est venu, parmi d’autres, sur le tapis : la blague. Et les blagues un peu « limites » alors ? Et « l’humour » ? Propositions concrètes.

Face à la blague (sexiste)

Quand tu entends une blague sexiste en public sur ton lieu de travail: 

A– Tu rigoles à gorge déployée (hé camarade, c’est pas bien, et tu le sais 🙂).

B- Tu souris, vaguement gêné·e.

C- Tu te dis: « ça vaaaaa, c’est Juliette. Je sais bien qu’elle n’est pas sexiste Juliette. En plus c’est une femme, alors ça vaaaa. »

D- Tu te dis: « c’est boooooon, c’est Roméo. Je sais bien qu’il n’est pas sexiste Roméo. En plus il récupère les enfants une fois par semaine, alors c’est bon. » (le ou la première qui me rappelle que Roméo et Juliette n’ont pas eu d’enfants gagne une tringle à rideaux)

E- Tu dis tout de suite / un jour / un an plus tard: « Excuse-moi Juliette / Roméo, en fait ça m’interroge cette blague et j’aimerais autant ne pas l’entendre. »

F- Tu affirmes avec colère que ce n’est plus possible de faire des blagues de ce genre.

On est souvent bien embêté face aux blagues fondées sur une discrimination. Parce qu’évidemment, les blagues racistes, ou concernant le handicap, vont générer le même type de réactions, et poser les mêmes questions.

Face à cela, on est souvent réduit à une (fausse) alternative: soit on exprime un malaise, un mécontentement, une colère, et on est, allez, écrivons les mots, « une emmerdeuse », « une rabat-joie », « un pisse-froid » (mais si mais si, il y a des vrais gens qui utilisent encore ce mot), « un donneur de leçons », et j’en passe (d’ailleurs tu les as en tête, ne fais pas comme si tu ne savais pas); soit on fait partie de l’équipe, on peut rigoler avec nous, tout va bien.

Tu vois le schéma? 

Mais du coup comment on fait corps, dans cette situation ? Comment on forme un collectif ? Sur le dos d’un groupe. Je n’ai même pas envie d’écrire « minoritaire », parce que les femmes si on s’arrête juste sur ce cas, au hasard, forment 72% des personnels de l’Education Nationale. C’est chouette l’humour, ça soude, et ça détend. Mais il y a TELLEMENT de sujets de rigolade. Peut-être on peut dire que les blagues sur les blondes ont vécu ? Et si on faisait des blagues sur les entreprises qui polluent par exemple ? Sur les personnes qui refusent de payer leurs impôts ? Ou de prendre part aux tâches ménagères ?

Il y en a d’autres, de fausses alternatives : disons que tu as répondu « E » voire « F » à mon petit questionnaire. Disons qu’en face la personne qui a fait la blague, interrogée sur le bien-fondé de sa blague, réagit en disant « C’EST BON, JE SUIS PAS UN VIOLEUR / UNE VIOLEUSE, ON PEUT PLUS RIEN DIRE ».

Alors, chèr·e collègue, on ne t’a pas accusé·e de quoi que ce soit. Et puis l’amalgame qui consiste à assimiler une demande d’arrêt de blague sexiste avec une accusation du viol, comment dire: eh bien c’est un amalgame, et en tant que tel, il est intellectuellement très contestable. Le fait de faire une blague sexiste dans une société patriarcale n’est pas un crime, c’est un petit événement, et faire face à la réaction qui consiste à dire que non, en fait, sur un lieu de travail, on ne veut plus entendre ce genre de propos, n’est pas faire face au jugement d’un tribunal inquisitorial.

Ce que l’on sait. Et ce que l’on ne sait pas.

Par ailleurs, autour de toi, il y a des victimes de viol, des personnes homosexuelles ou bi, des personnes en transition, des gens qui ont vécu l’inceste. En 2016, l’enquête « Violences et rapports de genre » (VIRAGE) menée par l’INED, a permis de mesurer le nombre de personnes ayant subi des violence sexuelles (viols, tentatives de viol, attouchements du sexe, des seins ou des fesses, baisers imposés par la force, contacts non désirés) au cours de leur vie.

Ces violences ont concerné 14,5 % des femmes et 3,9 % des hommes âgés de 20 à 69 ans. Je te laisse faire le calcul autour de toi.

Peut-être que ce sont elles qui répondent « B » à mon petit questionnaire. Peut-être que en tant que syndicaliste, en tant que professionnel·le du secteur dans lequel tu travailles, en faisant ce genre de blagues, tu n’incites pas tes collègues à se dire « cette personne est une personne de confiance à qui je peux confier que Mercutio m’a bloqué·e dans les toilettes pour m’embrasser il y a 6 mois ».

Peut-être que c’est au moins en partie pour ça que les syndicalistes arrivent en dernier dans la liste des personnes et des instances à qui les victimes se confient.

On n’a pas évoqué les gens qui répondent « C » ou « D ». Je me dis que le problème, c’est sans doute qu’ au travail, on est sur un lieu ou peut-être « les gens » (cette fameuse masse sans visage, sans histoire, qui jamais au grand jamais n’a vécu de VSS) ne connaissent pas ni Roméo, ni Juliette. Les gens ne savent pas s’il ou elle a des enfants, avec qui, comment se passent ses week-ends, ne connaissent pas son enfance, etc. Personnellement, quand je commence à me dire « C » ou « D », je me dis qu’il vaut peut-être mieux éviter cette blague au travail. Et puis à la maison, ou avec les ami·es, il y aura toujours quelqu’un pour me dire que les femmes peuvent être sexistes, et que les hommes en couple hétérosexuel font globalement 20% des tâches ménagères. Alors qu’au travail, mes collègues ont sans doute autre chose à faire. 

Alors, fin de la blague (sexiste) ?