Notre analyse et nos questionnements concernant cette loi fourre-tout qui a été adoptée par l'Assemblée Nationale le 19 février dernier, par 35 députés (sur 45 présents) en première lecture puis voté par 353 voix pour; 171 voix contre et 31 abstentions.
Au départ, il ne devait pas y avoir de loi. Puis il y a eu le projet de loi pour une école de la confiance et ses multiples amendements. La loi Blanquer est devenue une loi fourre-tout qui elle a tout de même été votée en première lecture à l’Assemblée.
Le texte de Loi n’est pas passé devant le Sénat, ni en seconde lecture devant la Chambre. Il n’a pas encore de décrets d’application ni d’arrêtés et de circulaires sans lesquels la loi Blanquer est inapplicable. Pourtant ce texte pourrait rapidement entrer en vigueur car il n’est pas certain qu’il soit modifié en profondeur lors de la 2ème lecture.
Voici notre analyse de ce projet de loi:
TITRE IER GARANTIR LES SAVOIRS FONDAMENTAUX POUR TOUS
Chapitre Ier L’engagement de la communauté éducative
Article 1
Le droit de réserve:
L’article 1 sur le devoir de réserve ne change rien par rapport à ce qui est actuellement en vigueur.
Les propos apocalyptiques d’autres OS ne reposent sur rien : le devoir de réserve est et restera fondé sur la jurisprudence existante.
Le Conseil d’État a clairement dit que la loi Blanquer n’y changera rien. Dans la mesure où il y a danger pour un élève, il est toujours du devoir de l’enseignant de le signaler. Il pourrait même être poursuivi s’il ne le faisait pas.
Ces débats, ces mots ont une efficacité, des conséquences négatives qu’il eût été sage d’anticiper. Écrire un article 1 sans effet normatif, comme l’a noté le conseil d’État et comme l’a récemment rappelé Bernard Toulemonde, a déclenché des débats presque devenus prophétie auto-réalisatrice :
des cadres (pas tous) contrôlent, parfois même pénalisent, des agents pour des écrits qui n’ont rien de répréhensible ni aujourd’hui, ni demain.
Appliquant dès maintenant une obligation de réserve qui n’existe pas et n’est pas dans le projet de loi, ceux-là croient à tort que l’École devient une grande muette.
La présence des symboles dans les classes :
Concernant les drapeaux, Marseillaise… et carte de France au fond de la classe. Depuis quand l’exposition à des symboles assure-t-elle la compréhension, l’intégration des valeurs et principes dont ils sont une représentation matérielle ? Peut être faudrait-il se pencher sur les nouveaux programmes de géographie thématiques? Quand, en plus, un des motifs de l’amendement est que ce sera l’occasion de « rappeler l’attachement de l’École aux valeurs de la République », c’est donc l’institution elle-même et ses agents que l’on soupçonne de ne pas être républicains ? Est-ce pertinent en maternelle ? Le ministère fournira-il les posters ?
Harcèlement:
Assurer une meilleure protection des élèves victimes de harcèlement est bien sûr une priorité mais doit être accompagnée d’une formation initiale et continue spécifique.
Formules:
Sur la formulation parent 1 et parent 2. Pourquoi ne pas utiliser Parent : père –mère – représentant.e légal.e ?
Chapitre II L’extension de l’instruction obligatoire aux plus jeunes
Article 2
L’instruction est obligatoire pour chaque enfant dès l’âge de trois ans et jusqu’à l’âge de seize ans.
Les ATSEM des écoles privées seront financées par les mairies. Cette nouvelle charge pour les communes sera-t-elle compensée par l’Etat comme annoncé ? Jusqu’à quand ? Cette charge sera-t-elle prise sur l’enveloppe consacrée aux écoles publiques ?
De nombreuses questions restent en suspens:
Que faire si l’enfant n’est pas propre ? L’obligation s’applique t-t-elle je jour des 3 ans ? Que faire si les parents souhaitent une scolarisation uniquement le matin ?
En cas de refus d’inscription sur la liste scolaire de la part du maire sans motif légitime, le directeur académique des services de l’éducation nationale agissant sur délégation du préfet procède à cette inscription, après en avoir requis le maire.
Faire inscrire des enfants par les DASEN en cas de difficulté avec les municipalités est un moyen de plus mis en œuvre par l’État pour concrétiser le droit de tout enfant à être scolarisé : c’est une mesure de progrès
Au cours de la troisième ou de la quatrième année, une visite médicale est organisée à l’école pour tous les enfants, en présence des personnes titulaires de l’autorité parentale ou qui en assurent la tutelle. Elle comprend un bilan de santé et un dépistage des troubles de santé, qu’ils soient sensoriels, de langage, de corpulence ou de développement psychomoteur.
La visite médicale des 3 ans va-t-elle se faire au détriment de celle des 6 ans ? Cette visite a 3 ans est une bonne chose mais la charge de travail supplémentaire n’a pas été évaluée.
Article 3
L’idée de stages communs entre enseignants et ATSEM semble utile dans le respect de chaque statut.
Article 4
Moyens financiers
L’aide proposée couvrira-telle la totalité des dépenses ? Que deviendra le montant dans le temps ?
Dérogations
Cette dérogation aurait pu être évitée si la mise en place n’était pas précipitée. Il n’y avait aucune urgence à mettre en place l’obligation scolaire à la rentrée 2019, alors que 97% des 3 ans fréquentent déjà, l’école, en métropole. Une action, ciblée à partir de 2019, sur les territoires d’outre-mer où le taux de scolarisation est bien inférieur n’aurait-il pas été plus judicieux ?
Chapitre III Le renforcement du contrôle de l’instruction dispensée dans la famille
Article 5
Le contrôle du suivi des apprentissages pour l’école à la maison est à renforcer. Les compétences civiques et sociales pour vivre dans une République laïque devraient être particulièrement surveillées. Ces enfants devraient être évalués annuellement avec un dispositif national dédié assuré par l’IEN et son équipe. La charge de travail des IEN relative à cet article n’est pas évaluée.
Chapitre IV Le renforcement de l’école inclusive
Article 5
Les conditions de mise en place des Pôles Inclusifs d’Accompagnement Localisés (PIAL) doivent être regardées avec attention notamment en qui concerne les AESH. Pour une réelle réussite de l’inclusion une formation, initiale et continue, dédié est demandée.
LES REVENDICATIONS DU SGEN-CFDT POUR L’ÉDUCATION INCLUSIVE :
- Reconnaître toutes les tâches liées à l’école inclusive pour tous les personnels,
- Assurer l’accompagnement des personnels et des élèves par des professionnels spécialisés,
- Assurer un accompagnement des élèves par les AESH et par les AED (assistants d’éducation) en nombre suffisant,
- Proposer de véritables contrats de travail à temps plein pour les accompagnants,
- Offrir une formation adaptée à la prise en charge des élèves en situation de handicap ou à besoins particuliers pour tous les personnels,
- Dégager du temps de travail pour la concertation en équipe autour de la mise en œuvre de l’accueil des élèves à besoins particuliers.
TITRE II INNOVER POUR S’ADAPTER AUX BESOINS DES TERRITOIRES
Chapitre Ier L’enrichissement de l’offre de formation et l’adaptation des structures administratives aux réalités locales
Article 6
Les établissements publics locaux d’enseignement international
La mixité sociale de ces établissements doit être une obligation pour risque de ghettoïsation de classes. Les moyens accordés à ces établissements ne doivent pas être au détriment des autres y compris en langue.
Les établissements publics locaux d’enseignement des savoirs fondamentaux
La création d’établissements publics des savoirs fondamentaux ne se fera localement qu’avec l’accord des DASEN et des collectivités et en fonction des besoins.
Nous dénonçons l’absence totale de concertation, d’avis préalable des équipes des écoles, des collèges et des parents !
Dans un premier temps, cela ne se fera sans doute que très localement dans le cadre d’expérimentations particulières. Ce qui peut aussi entraîner une rupture d’égalité sur le territoire. Le ministère ne sera-t-il pas tenté de privilégier (en moyens humains par exemple) ce type d’établissement au détriment de ceux existants ?
Ce n’est pas en décrétant cette création que l’on créera du lien entre collège et écoles. Ce n’est pas non plus ainsi que l’on résoudra la charge de travail des directeurs et directrices d’école, comme le suppose Cécile Rilhac, la députée qui a déposé l’amendement créant les EPLESF. Il faut avant tout associer tous les acteurs territoriaux et travailler ensemble à la construction du parcours des élèves dans un environnement de vie dynamisé.
Pour les sénateurs, la restriction présente dans la Loi de la confiance, nécessitant l’accord des collectivités territoriales, sera un frein en soi à toute généralisation. Ces regroupements pourraient en effet générer des établissements de plus de 1500 élèves (collège et écoles de bassin de vie réunies) nécessitant des moyens adéquats, comme la Loi sur les établissements publics le demande. Et là, en cette période de restriction budgétaire et de suppressions de postes dans le second degré, de tels établissements devraient donc être marginaux. Il faut donc savoir raison garder et ne pas crier au loup trop tôt.
Pour le Sgen-CFDT, qui historiquement défend l’établissement du socle, cela ne peut se faire, sans concertation et sans projet adapté au territoire et construit avec les acteurs locaux (enseignants et parents d’élèves). Le mise en place doit se faire dans un délai de réflexion et de concertation suffisamment long afin de créer la réussite de tels établissements. La contractualisation doit se faire en assurant des moyens sur la durée du contrat.
La quasi-totalité des syndicats (à l’exception du SE –UNSA) ont eu il y a quelques années des espaces de discussion possibles. À ce moment-là, ils n’ont rien fait pour proposer des solutions quant à la surcharge des directeurs·trices ou à l’inclusion. Maintenant, ils crient au scandale mais qu’ont-ils fait lorsqu’ils en avaient la possibilité ? La contestation sans proposition est stérile.
Le Sgen-CFDT réfléchit depuis plusieurs années à un établissement du 1er degré.
Nous ne voulons pas d’un principal de collège, chef de plusieurs écoles. Cependant, nous réfléchissons depuis longtemps à un réel statut d’une école du premier degré.
Chapitre III L’évaluation au service de la communauté éducative
Article 9
La création du CEE sonne la disparition du Cnesco. Pour le Sgen CFDT, il est important que l’évaluation soit « indépendante, scientifique et participative du système scolaire ». En effet, le CNESCO part des questions des usagers et des professionnels du système éducatif et travaille avec eux à construire des recommandations partagées à partir des évaluations réalisées par des chercheurs – y compris étrangers – et à les mettre à la disposition de tous. Les ressources évaluatives du CNESCO et ses recommandations sont importantes pour améliorer les pratiques éducatives sur le terrain et pour faire évoluer les politiques éducatives de façon constructive.
Le CNESCO dispose d’une expertise reconnue en matière d’évaluation des politiques publiques d’éducation alors qu’il n’est pas encore parvenu au terme de son premier mandat qui court jusqu’en 2020. Les acteurs de terrain ont besoin de stabilité institutionnelle, la confiance qu’a su créer le CNESCO auprès de la communauté éducative et de la communauté scientifique s’est construite au fil des années. C’est pourquoi il devrait voir ses missions affirmées et éventuellement élargies.
TITRE III AMÉLIORER LA GESTION DES RESSOURCES HUMAINES
Chapitre IER Les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation
Article 12
Pourquoi une telle précipitation ? La formation initiale est trop importante pour être totalement modifiée dans l’urgence. Construire une nouvelle formation initiale doit être concertée et réfléchie si l’on veut qu’elle soit efficace et utile.
Chapitre II Les personnels au service de la mission éducative
Article 13
Assurer une visite médicale à tous les personnels est une demande des agents. Elle nécessite des moyens la généralisation de la visite médicale sur le temps de travail, et doit devenir une réalité.
Article 14
Le recrutement de contractuels non formés pour enseigner devant les élèves n’est pas concevable. Il s’agit dans cet article de permettre à des AED d’être recrutés spécifiquement en pré-professionnalisation. Dans ce cadre, ils seraient appelés à prendre ponctuellement des élèves en charge tout en bénéficiant dans le cadre de leurs missions d’une formation. Ce n’est en aucun cas le recours à des contractuels non formés.
Le Sgen-CFDT va porter dans les concertations à venir des revendications très précises pour garantir à l’étudiant un parcours de formation réellement préprofessionnalisant.
Dans le premier degré, le Sgen-CFDT est opposé au recours aux contractuels.
Article 16
C’est un grand pas en faveur des usagers et une réelle reconnaissance de l’utilité des médecins de l’Éducation nationale dans le système de santé.
TITRE IV SIMPLIFIER LE SYSTÈME ÉDUCATIF
TITRE V DISPOSITIONS DIVERSES
L’article 24 aurait-il dû faire partie de la loi ? L’urgence des conditions matérielles des écoles de Marseille nécessite une réponse rapide, mais le ministère n’avait-il pas d’autres moyens comme un décret par exemple d’obtenir cet état des lieux ?
Pour une véritable école de la confiance
Avec plusieurs autres OS FSU, UNSA ÉDUCATION, FERC-CGT ET SNALC, le SGEN -CFDT a demandé aux députés de ne pas voter cette loi.
Le texte, voté par 353 voix contre 171 et 31 abstentions, a eu le soutien des élus LREM-MoDem et une partie des UDI-Agir, les autres groupes votant majoritairement contre.
Le Sgen-CFDT a été reçu par la Commission des affaires culturelles et scolaires du Sénat, mardi 19 février, à trois reprises (second degré, premier degré et personnel de direction).
le Sgen-CFDT a pu tout d’abord exprimer son mécontentement sur la méthode utilisée pour construire ce projet de Loi : manque de transparence, absence de dialogue social, ajout d’amendements deux jours avant l’examen de la Loi par l’Assemblée.
De la part du Ministère, c’est s’asseoir sur l’agenda social 2019 qui avait fait notamment de la direction d’école un sujet de négociations.